Le mouroir de Dolly.

On ne dit jamais : Fontaine je ne m'abreuverai pas de tes maux.

dimanche 12 août 2012 à 20h44

Je me souviens de ces nuits, criantes d’un désespoir certain. La porte définitivement close, les ombres et le silence. Tu me disais avec une répugnante délectation que tôt ou tard tout ce que je touchais finirait par mourir. Je comptais les heures qui me séparaient de toi, tu avais toujours réponse à tout. C’était idiot pourtant, tout finit toujours par mourir. Mais m’assimiler à cette perdition n’était-ce pas d’une impitoyable cruauté ?

Il y a ces moments où vous ne vous supportez plus. Ou en fait, vous ne supportez plus rien. Votre image vous exaspère. Vous passez des heures sur votre ordinateur à supprimer toutes ces photos stupides, inutiles et futiles. Vous les pensiez irremplaçables pendant toutes ces années et soudainement vous vous dites qu’elles n’ont aucune importance. Vous voulez changer, passer à autre chose. Ça fait mal d’effacer ses souvenirs. Mais on ne s’en rend compte qu’après, quand le mal est fait. Sur le coup, on est comme anesthésié. Tout ce qui compte, c’est d’oublier. D’effacer. De créer de la place par peur d’étouffer.

La neige tombait si fort ce jour-là. Comment as-tu résisté ? Tu y as laissé tant de rouge, de chair et de sensations d’horreur. Ton âme écorchée et tes genoux enflés, comment ont-ils su te porter ? Comment le noir de ton âme a-t-il su se fondre dans ce blanc immaculé ?

Tout ce qui reste, nos mots, nos actions, nos paroles et nos écrits finissent par nous détruire. Pourquoi ne pas les détruire avant ? Pourquoi ne pas tenter quelque chose pour nous sauver ?
Il vaut mieux regretter ce que l’on a fait plutôt que ce que l’on a pas osé faire.

Je ne pourrai jamais me départir du sentiment de t’avoir tuée. Tu avais raison depuis toujours. La neige tombe encore aujourd’hui, indifférente. Toujours pure. Mais pour combien de temps ?

Comment continuer ?
Vous retournez à cet endroit que vous aviez tant aimé. Voir ces gens qui ont été tellement pour vous. Et subitement, vous paniquez parce que vous vous rendez compte que plus rien n’est comme avant. Rien n’a changé pourtant. Sauf vous. Car entre temps, vous avez ouvert un pan de votre existence qui était fermé autrefois à cet endroit-là.
Et qui vous empêche de vivre.

Une ombre passe. Un volet claque. Vite, il faut rentrer. Se cacher. Il ne faut pas qu’il trouve, qu’il te trouve. Il ne faut pas qu’il touche, qu’il te touche. Qu’il arrache, qu’il t’arrache le cœur, l’âme, la vie et les sens. Cours petit amour, il te rattrapera. Caches-toi, il te retrouvera. Il ne dort jamais, tu sais. Ne s’arrête jamais. Le dernier espoir reste le puits de l’oubli. Saute à l’intérieur et immerge-toi dans ses eaux.

Est-ce que c’est ça grandir ? Perdre ce que l’on avait gagné ? Retrouver ce que l’on avait banni ?
On peut se demander si une course à la recherche de la vérité est préférable à une vie d’illusions et de mensonges. Après tout, la vérité peut tuer. Alors est-elle la meilleure solution ?

Presque quatorze ans ont passé et le puits est sec à présent.

Elle a tout avalé. Comme ça. Comme rien.

Et je l’aime. Je t’aime. Toi qui a ouvert la porte et tout illuminé.
Pour le meilleur, je l’espère. Pour le pire, je le crains.

On passe son temps à se demander qui nous sauvera et en sachant pertinemment qu’il n’y a pas de bonne réponse.